Marko Erman, le directeur scientifique de Thales, est intervenu dans l’émission Tech&Co de BFM Business, sur le thème de l’Internet quantique via satellite.
Dans cet entretien, il aborde l’inviolabilité de la clé de chiffrement, la distribution quantique des clés et la cybersécurité des communications quantiques par satellite.
L’occasion, pour nous, de revenir et d’approfondir les différentes notions abordées dans cet entretien.
Inviolabilité de la clé de chiffrement
La cryptographie quantique consiste à générer et partager des clés de chiffrement basés non pas sur des lois mathématiques mais sur des lois de la mécanique quantique.
La sécurité de la cryptographie quantique ne repose plus sur la difficulté mathématique d’un problème, comme c’est le cas des protocoles cryptographiques utilisés aujourd’hui mais sur une propriété de la physique quantique qu’on appelle l’effondrement de la fonction d’onde ou réduction du paquet d’onde.
On vous explique un peu plus ce concept ci-dessous.
En cryptographie quantique, on extrait une clé de chiffrement classique symétrique (des 0 et des 1 dans le désordre) à partir d’échange de qubits photoniques. Mais à la fin, on manipule bien une clé de chiffrement classique.
Imaginons maintenant qu’une particule, un peu comme un interrupteur, admette deux états possibles, que nous baptiserons 1 et 0 pour un maximum de simplicité. Si l’on en croit l’interprétation de Copenhague, tandis qu’un interrupteur ne peut être que dans un seul état à la fois (allumé ou éteint), la particule, elle, se trouve dans ce que l’on appelle une superposition d’états, c’est-à-dire à la fois 1 et 0.
Dans le monde quantique, le simple fait d’observer un système quantique provoque une sorte d’effondrement vers un état spécifique. On parle aussi de réduction du paquet d’onde.
Ainsi, une particule qui, selon la théorie, peut se trouver dans plusieurs états à la fois, choisit instantanément son camp dès qu’elle est observée.
Supposons, qu’un observateur décide de mesurer l’état quantique pour récupérer la clé de chiffrement, alors le simple fait d’observer et de mesurer l’état quantique provoque la disparition de la superposition quantique, causant ainsi un effondrement de la fonction d’onde.
Une fois la première observation faite, l’effondrement de la fonction d’onde est absolu est définitif, il n’y a pas de versions alternatives ou de modifications possibles. Il est donc impossible de récupérer la clé de chiffrement.
Pour être plus précis, l’observation ou la mesure d’un état quantique ne le fait pas réellement disparaître. Au lieu de cela, la mesure d’un état quantique perturbe plutôt l’état du système mesuré et modifie sa fonction d’onde. C’est tette perturbation qu’on appelle l’effondrement de la fonction d’onde et elle est un phénomène central de la mécanique quantique.
source : futura-sciences.com et Wikipedia
Les différentes formes de distribution quantiques des clés
Dans la théorie, il existe deux grandes formes de QKD : celle qui repose sur le protocole BB84 et dérivés qui n’exploite que l’effondrement de la fonction d’onde, et celle qui repose sur l’intrication (depuis le protocole E91). Elles ont des caractéristiques différentes.
Aujourd’hui, ce qui est déjà déployé, ce sont des BB84-like comme en Chine. Le projet Européen vise, quant à lui, à faire de la QKD intriquée. Son intérêt est que, seule la QKD intriquée permet de bâtir un Internet quantique et de relier quantiquement des objets quantiques (ordinateurs ou capteurs). Le protocole BB84 ne le permet pas. Par contre, l’Internet quantique a besoin de répéteurs d’intrication qui sont en cours de développement.
Dans la suite de cet article, nous ne parlerons que de QKD qui repose sur l’intrication (depuis le protocole E91)
La distribution quantique des clés de chiffrement
Ici, nous allons parler d’une distribution quantique des clés de chiffrement basée sur l’intrication (depuis le protocole E91).
Dans des communications sécurisées par cryptographie quantique, la distribution quantique des clés de chiffrement s’appuie sur des satellites qui font office de relais de sécurité intermédiaires.
En cryptographie quantique, la distribution quantiques de clés ou QKD pour Quantum Key Distribution, est un moyen sûr de partager des clés secrètes entre des utilisateurs distants.
L’utilisation de relais par satellite permet d’étendre les distances de communication mais ces relais posent des risques de sécurité. Ce problème peut être résolu en utilisant une QKD basée sur l’intrication.
En effet, la physique quantique rend possible un effet étrange appelé l’intrication. Plus concrètement, deux ou plusieurs particules telles que des photons qui sont liés ou « enchevêtrés » peuvent s’influencer simultanément, quelle que soit leur distance.
Des paires de photons intriqués peuvent être distribuées via des liaisons satellites descendantes vers des observatoires terrestres. Cette méthode décuple non seulement la distance de sécurité au sol, mais augmente également la sécurité pratique de QKD grâce à l’intrication.
Comme on l’a vu précédemment, la sécurité des protocoles d’échange quantique de clé est appuyée sur l’hypothèse que le théorème de non clonage prive un adversaire d’apprendre l’état d’une particule avant la mesure.
Pour comprendre la distribution quantique de clés
Pour comprendre la distribution quantique de clés de chiffrement, je vous conseille cette vidéo
Pour comprendre l’intrication quantique
Pour comprendre l’intrication quantique, je vous conseille la vidéo de Science Étonnante sur le sujet
La cybersécurité des communications quantiques par satellite
Jusqu’à aujourd’hui, la distribution quantique des clés (QKD) était principalement menée à travers des fibres optiques au sol. La distance maximale atteinte jusqu’à maintenant pour générer des clés de cryptographie a été réalisée en laboratoire sur une fibre optique enroulée sur 830 kilomètres de long (Source : Twin-field quantum key distribution over 830-km fibre by Shuang Wang et al, Nature, January 2022).
L’utilisation de relais satellites permet d’étendre ces distances et les problèmes de sécurité sont résolus en utilisant une distribution quantique des clés (QKD) basée sur l’intrication.
Cette technologie basée sur l’inviolabilité de la clé de chiffrement, permet de réaliser des communications sécurisées par satellite.
L’ENISA, l’agence de l’Union européenne pour la cybersécurité, a publié un papier pour expliquer ce qu’est et ce que n’est pas la QKD. C’est un papier qui date de novembre 2009 donc plusieurs problèmes évoquées ont été résous depuis ou sont en cours de résolution.
La sécurisation des infrastructures européennes face aux attaques des futurs ordinateurs quantiques
Au cœur de la seconde révolution quantique, Thales s’associe à une vingtaine de partenaires de la « deeptech », acteurs académiques et industriels, afin de déployer d’ici 3 ans une infrastructure résiliente et ultra-sécurisée de communications quantiques pour les Etats membres de l’Union Européenne, via l’initiative EuroQCI (European Quantum Communication Infrastructure).
l’objectif est de créer un réseau d’information quantique appelé QIN, Quantum Information Network. Il permettra non seulement la sécurisation des communications, mais également la mise en réseau de capteurs et de processeurs quantiques, qui permettront de centupler les performances déjà exceptionnelles des capteurs quantiques et ordinateurs quantiques.
Pour en savoir plus, voir notre article sur le sujet ici.
Pour en savoir plus sur le quantique et la cryptographie quantique
On vous propose ci-dessous plusieurs ressources à consulter pour approfondir le sujet du quantique, la cryptographie quantique et le chiffrement post-quantique
- Concernant les technologies quantiques en général, je vous conseille le blog d’Oliver Ezratty. Vous pourrez écouter Quantum, le podcast mensuel de l’actualité quantique francophone, enregistré en compagnie de Fanny Bouton, quantum lead chez OVHcloud. Vous pourrez également y télécharger l’ebook Understanding Quantum Technologies, cinquième édition, publiée en septembre 2022, 1128 pages. C’est la mise à jour de la quatrième édition, toujours en anglais et sans version française. C’est une véritable bible publique sur le sujet de la physique quantique. Une version simplifiée de 24 pages est aussi disponible. Les ebook d’Oliver Ezratty sont tous gratuits et téléchargeables sur son blog au format PDF en général et parfois en ePub.
- Je vous conseille également l’une des chroniques de Michel Juvin, publiée chez Alliancy – le mag numérique et business dans « Les Carnets de Michel » sur le sujet du chiffrement post-quantique. Michel Juvin est un expert de la sécurité et de la transformation, ancien membre actif du CESIN (Club des Experts de la Sécurité de l’Information et du Numérique), ancien DSI puis Chief Information Security Officier (CISO), notamment dans des entreprises comme Lafarge ou Chanel. Michel partage régulièrement sa vieille technologique et le fruit de ses réflexions sur ce monde hyper technique.
Feuille de route sur le développement des réseaux d’information quantique par satellite
Thales Alenia Space, en tant que maître d’œuvre de l’étude, associé au CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) et au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), a publié un document qui présente une feuille de route sur le développement des réseaux d’information quantique (QIN) par satellite.
Titre du document
Satellite-based quantum information networks: use cases, architecture, and roadmap, de Forges de Parny, L., Alibart, O., Debaud, J. et al. Satellite-based quantum information networks: use cases, architecture, and roadmap. Commun Phys 6, 12 (2023).
Résumé du document
Les réseaux d’information quantique (QIN) suscitent un intérêt croissant, car ils permettent de connecter des dispositifs quantiques sur de longues distances, améliorant ainsi considérablement leurs capacités intrinsèques de calcul, de détection et de sécurité. Le mécanisme central d’un QIN est la téléportation d’états quantiques, consommant de l’intrication quantique, qui peut être considérée dans ce contexte comme un nouveau type de ressource réseau. Nous identifions ici les cas d’utilisation par secteur d’activité, y compris les objectifs de performance clés, en tant que référence pour les exigences du réseau. Nous définissons ensuite l’architecture de haut niveau d’un QIN générique, avant de nous concentrer sur l’architecture du segment spatial, dans le but d’identifier les principaux moteurs de conception et les éléments critiques. Une étude de l’état de l’art de ces éléments critiques est présentée, ainsi que les questions liées à la normalisation. Enfin, nous expliquons notre feuille de route pour le développement des premiers QIN et détaillons la première étape déjà achevée, à savoir la conception et la simulation numérique des QIN. la conception et la simulation numérique d’un démonstrateur de distribution d’intrication espace-sol. de distribution d’enchevêtrement.
[…] Thales veut développer l’Internet quantique via satellite, une analyse de François QUIQUET […]
[…] https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-cryptographie-face-a-la-menace-quantique […]